Voyages d'enfance

Auteur·e du carnet: 

La vie est un voyage, on le sait. Et les nuages
sont de bien errants voyageurs. Bashô affirme
que le voyage même est la demeure. Est-il
possible de tant errer?

J. R. Léveillé

 

D'où me vient cette envie irrépressible de voyage? De ma mère, qui, jeune fille, était partie seule au Mexique dans les années cinquante, de mon père, très certainement, qui avant son mariage avait sillonné l'Europe et, nous racontait-il en pimentant chaque fois son récit, avait dormi sous les ponts de Paris. Cette envie me vient de mes parents qui, malgré ou pour leurs quatre enfants et leur chien (c'était avant qu'on interdise l'accès aux chiens dans les parcs nationaux), paquetaient chaque été leur station-wagon pour emmener la famille faire le tour de la Gaspésie, de la Mauricie, de l'Estrie, et aussi passée la frontière jusqu'à la mer de la Caroline du sud. En bons indépendantistes qu'ils étaient, ils nous avaient aussi conduits jusqu'à la Baie James voir le barrage de René Lévesque. Je me souviens que la terre y était rouge et poussiéreuse; c'était loin et étrange et isolé comme dans un autre pays. C'était la belle vie, avant que l'on s'attache au Québec, comme nous l'obligeraient plus tard les pancartes sur les autoroutes: on partait au beau milieu de la nuit, surexcités -notre mère nous interdisant de faire du bruit et de claquer les portières-, on se couchait les quatre comme des sardines dans nos sacs de couchage sur les bancs repliés du station-wagon, on tentait de se rendormir mais c'était peine perdue et on le savait, mais ça ne nous empêchait pas de somnoler après avoir, à l'aube, mangé nos grills confiture préparés la veille et emballés dans du papier d'alu. C'était l'aventure, avec la boucane de cigarettes des parents, avec les inévitables chicanes de frères et soeurs, les tout aussi inévitables quand est-ce qu'on arrive et les pointes de colère de mon père lorsque, excédé d'entendre notre chahut, il tentait de nous taper tout en conduisant, ce qui n'était jamais pris au sérieux de toute façon. Arrivés au camping, on retrouvait les familles suisses amies de notre famille qui nous rassemblaient autour d'une raclette avec la demi-meule qui en fondant tombait dans les assiettes des chanceux qui s'étaient mis en ligne pour en obtenir. On était tout ensemble une grande famille, une vraie trâlée d'enfants, on était six millions et on s'parlait.